SM François II, Roi des Deux-Siciles
François II est le dernier Souverain des Deux-Siciles; sous son règne, survint l’invasion du Royaume, d’abord de la part des garibaldiens, puis de l’armée de la maison de Savoie et enfin l’annexion au nouveau-né Royaume d’Italie qui venait de voir le jour. Tous ces évènement se déroulèrent seulement un an après la mort de Ferdinand II à l’âge de 48 ans, et que François se retrouva précipitamment sur le Trône à 23 ans.
Né le 16 janvier 1836, il était le fils aîné de Ferdinand II et de sa première femme Marie-Christine de Savoie (dont, comme nous l’avons dit plus tôt, la béatification est en cours), qui le laissa orphelin de mère, quinze jours après sa naissance. Aussi bien Son père autant que sa deuxième femme, la Reine Marie-Thérèse d’Habsbourg, lui dispensèrent, à l’aide des pères jésuites, une éducation très religieuse, non dépourvue de culture générale, mais s’il ne reçut jamais de formation militaire, à la différence de Ferdinand. Ce dernier l’initia, d’autre part, à l’amour pour le Royaume et à ses devoirs envers ses sujets, qui , après ceux envers Dieu, venaient avant toute chose. Ses rapports avec sa belle-mère ne furent guère faciles, mais jamais conflictuels: celle-ci, pensait tout naturellement avant tout à ses propres enfants (elle en eut 11, parmi lesquels Alphonse, comte de Caserte, le futur chef de la Maison Royale, après la mort de François); François, de son côté, respectait la Reine, alors qu’ elle se préoccupait de suivre le futur souverain.
Ferdinand lui choisit comme épouse Marie Sophie de Bavière, fille du Duc Maximilien, sœur d’Elisabeth, la femme de l’Empereur d’Autriche François-Joseph. Nous le verrons plus loin, Marie Sophie se révéla être une femme exceptionnelle au cours les jours tragiques de leur vie et, pour cette raison elle fut toujours soutenue par les sujets et admirée dans toute l’Europe.
Les premiers temps à la Cour furent loin d’être commodes pour la jeune femme, qui ne parvenait pas à s’entendre avec la Reine, mais elle bénéficiait au contraire de toute la sympathie du Roi qui lui avait pour elle une vraie affection. Dès son arrivée à Naples apparurent les premiers symptômes de la maladie qui mena Ferdinand à la mort; L’accession au trône de François et Marie Sophie envenima davantage les rapports avec la Reine mère. Cependant, bien d’autres menaces pointaient à l’horizon et Marie Sophie se montra forte et courageuse, comme l’histoire en connu peu: nous ne pouvons ne pas penser à Marie-Antoinette, lors des dernières années de sa vie et même si une ni elle ni son époux ne connurent la même mort tragique Marie Sophie une douleur l’affligea tout au long de sa vie (elle mourut en 1925).
François ne régna en souverain libre que lors de la première année, puis il dut faire face à l’invasion du Royaume. Il parvint, en l espace d’un an à laisser entrevoir ce qu’ aurait pu être son règne si il avait eu, comme ses ancêtres, la possibilité de gouverner sereinement.
Il n’avait pas la force de caractère de son père, ni bien sûr son expérience politique, mais c’était un homme débordant de bonté et d’humanité, un homme d’une foi profonde, ayant le sentiment du devoir envers les sujets et surtout envers les indigents. Il conciliait une volonté de réformes qui allait au delà de celle de ses aïeun, et un sens profond de devoir religieux, ce en faisait sans doute aux yeux de ses sujets, le meilleur des souverains.
Du reste, la farouche résistance pro-bourbonnienne dans les années soixante-dix (voir la rubrique qui s’y rapporte ) qui impliqua – comme aux temps des soulèvements – des dizaines de milliers d’hommes et de femmes en armes, pour la défense de leurs souverains légitimes, en fournit la preuve la plus éclatante. Dès sa montée sur le Trône, il accorda de nombreuses amnisties, nomma des commissions aptes à visiter les établissements de détention et y apporter les améliorations nécessaires; il voulut accorder plus d’autonomie
aux communes et allégea la lourdeur bureaucratique; il accorda des chartres de franchises à Palerme et Messine, fonda à Catane un Tribunal de Commerce et les Caisses de compte et d’escompte; remit en Sicile les bon de l’octroi et réduisit de moitié le droit de mouture, abolit les droits sur les maisons où habitaient les gens pauvres et diminua les droits de douane, surtout ceux sur les livres étrangers; il diminua aussi les impôts sur les marchandises étrangères, accorda des Bourses de Change à Chieti et Reggio de Calabre; ordonna l’ouverture de monts-frumentaires, mont-de-piété, Caisses des Consignations et d’Epargne dans les pays qui en étaient dépourvus; alors que les rebelles accusaient déjà le Roi de vouloir reporter le poids de la pénurie de blé sur les pauvres, il donnait l’ordre de distribuer aux populations des lots de blé étranger à un prix très réduit, faisant du coup subir une grave perte économique au gouvernement. Il fit construire entre autres des cathédrales, des lycées et des collèges et fonda une commission chargée des améliorations urbaines de Naples (il avait l’idée à ce sujet de construire des broyeuses à vapeur publiques pour la mouture gratuite, mais le projet ne put se réaliser à cause de l’invasion de l’armée de Garibaldi); il développa le réseau de chemin de fer, en surveillant personnellement les délais de construction, exigeant des comptes de la part des firmes privées contractées, et par le décret du 28 avril 1860, il prescrivit l’élargissement du réseau de la ligne Naples-Foggia et Foggia-Cap d’Otrante; puis il ordonna la construction des lignes Basilicate – Reggio de Calabre et de celle pour les Abruzzes, alors qu’il songeait déjà à la ligne Palerme – Messine – Catane.
Le 1er mars 1860, il assigna tous les fonds au service des aqueducs et, évitant ainsi la formation de marais, il favorisa l’irrigation des champs et la santé publique; il entreprit l’ assèchement du lac de Fucino, fit prolonger l’ endiguement du fleuve Sarno creusant un chenal navigable, ordonna de continuer les travaux dans les marécages napolitains et le déblaiement des bouches du Sebeto. Tout ceci en un an. De plus, en 1862, désormais exilé à Rome, il fit parvenir une grosse somme d’argent aux napolitains victimes de l’éruption du Vésuve.
Après la chute du Royaume, les souverains furent accueillis à Rome par Pie IX (qui leur rendait ainsi l’hospitalité qui lui avait été accordée par Ferdinand II en 1848-1850) d’abord au Quirinal puis, jusqu’en 1870 au Palais Farnèse. Durant ces années, il tentèrent en un premier temps d’organiser la résistance pro-bourbonienne qui se formait dans l’ex-Royaume, mais ils réalisèrent que la cause était perdue et ne voulurent pas être à l’origine d’autres effusions de sang, de haines et souffrances.
Privés de leurs biens personnels par les Savoie (Garibaldi avait séquestré sans aucun droit ni justification, non seulement les biens immeubles, mais aussi ceux mobiles que François n’avait pas voulu emporter avec lui), ils durent se déplacer souvent: ils vécurent longtemps à Paris et de temps en temps en Bavière dans les propriétés de Marie Sophie, menant une vie sereine et modeste. En 1894, au cours d’un de ces voyages, François II s’éteignit à Arco (Trente) en paix avec Dieu, avec son prochain et donc avec lui-même. N’ayant pas d’héritiers, son frère Alphonse-Marie de Bourbon des Deux-Siciles, Comte de Caserte, devint le Chef de la Maison Royale.
L’invasion du Royaume
Il n’est évidemment pas possible détailler ici une histoire du Risorgimento et de la conquête du Royaume par les piémontais. Ce que nous pouvons dire c’est qu’aujourd’hui il existe heureusement, de nombreuses reconstitutions historiques sur les évènements de ces journées, beaucoup plus sereines, véridiques et objectives que la “version officielle” fournie et divulguée en ces 140 dernières années par la “vulgate” historiographique du Risorgimento. Les historiens (tous ne sont pourtant pas des sympathisants de la cause bourbonienne, loin s’en faut ) travaillant à reconstituer objectivement et avec honnêteté intellectuelle ces pages tragiques de l’invasion et de la conquête du Royaume, sont aujourd’hui légions.
Nous nous limiterons à dresser une liste des faits historiques les plus avérés et aujourd’hui incontestés, reconnus parmi le cercle des spécialistes, mais encore méconnus du grand publique italien, non marqué par ces souvenirs d’école sur l’héroïque conquête des Mille sur un peuple méridional, exultant d’avoir été “libéré” de la “barbarie bourbonienne”. Aujourd’hui, quasiment personne ne raconte ces fables et pourtant elles survivent dans l’imagination collective. Du reste, le lecteur qui a eut la patience de lire attentivement les rubriques précédentes, se sera rendu compte de combien était fausse la “vulgate” anti-bourbonienne, de combien elle est en contraste avec la vérité historique.
Loin d’engager une polémique c’est simplement pour servir la vérité historique et la mémoire commune du peuple italien que nous nous limitons à évoquer ces faits historiques manifestes et évènements incontestables, et nous renvoyons le lecteur intéressé aux recherches des meilleurs historiens, dont nous fournissons la liste dans la rubrique Livres conseillés.
- Dès les années Cinquante, en particulier en 1858 avec les Pactes de Plombières, Cavour avait préparé, avec la complicité de Napoléon III, de la Grande-Bretagne et à l’aide du milieux démocratiques italiens, l’invasion du Royaume des Deux-Siciles, Etat souverain sept fois centenaire, pacifique, ami et allié du Royaume de Sardaigne, dont le dernier Roi était le cousin même du Roi Victor-Emmanuel II;
- Napoléon III appuya Cavour dans l’espoir (qui se révéla plus tard chimérique) que le Royaume passât à son cousin Lucien Murat, tandis que la Grande-Bretagne espérait qu’un nouveau Royaume d’Italie, reconnaissant et ami, puisse entraver la prépondérance française autant que celle des Habsbourg ( le monde anglican nourrissait des espoirs concrets d’”évangéliser” l’Italie, qui était encore victime de la “superstition papiste”);
- Garibaldi, pour son expédition, reçu des hommes, des bateaux, mais surtout des armes du Royaume de Sardaigne, tandis que l’argent lui fut donné à foison par la Grande-Bretagne et la Franc-maçonnerie internationale. Il s’agissait de 3 millions de francs français -remis avant l’embarquement à Garibaldi, en piastres d’ or turques- et d’un million de
- ducats, des chiffres astronomiques, entre les mains de l’amiral Persano, auxquels il faut ajouter les 300.000 lires en or procurées à Milan par le banquier Garavaglia et remises directement entre les mains de Garibaldi. Voir A.A. – V.V., Un tempo da riscrivere:il risorgimento italiano, Mostra di Rimini 2000, Il Cerchio, p.21. Voir également au sujet de toute la question l’excellente œuvre de R. MARTUCCI, L’invenzione dell’Italia unita, Sansoni, Florence 1999];
- Cet argent servit pour la corruption des plus hauts officiers bourboniens, qui dès le débarquement en Sicile, ne contrèrent jamais sérieusement les garibaldiens (rappelons nous que Garibaldi arriva à Naples en train ! ne causant en tout que quelques morts et blessés), abandonnant lâchement à l’envahisseur des forteresses entières et plusieurs postes de combat; mais il servit aussi pour la corruption des principaux hommes du gouvernement, qui se furent de très mauvais conseil pour François II, poussant jusqu’à la trahison ouverte comme le cas de Liborio Romano,ne serait que pour nommer le plus célèbre, le premier ministre et premier traître du Roi;
- Cavour donna l’ordre à l’amiral Persano, commandant de la flotte de la Maison de Savoie, de suivre de loin l’expédition de Garibaldi et de l’aider afin que tout aille pour le mieux; tel fut le cas;
- La Grande-Bretagne se comporta de la même manière, disposant dans le Golf de Naples d’une flotte entière sur le pied de guerre, au moment de l’arrivée de Garibaldi, annonçant clairement ce qui ce serait produit si François II cherchait à résister;
- Alors que Victor-Emmanuel II assurait son cousin à Naples de son amitié, déplorant ce qui se profilait, Cavour donnait l’ordre au général Cialdini d’aller à Naples pour s’emparer du Royaume (envahissant par la même occasion les états pontificaux), et le Roi de la Maison de Savoie se rendit en personne dans le Sud, pour recevoir des mains Garibaldi le Royaume conquis lors de la Rencontre de Teano);
- Face aux évènements, Napoléon III de son côté, qui condamnait publiquement l’expédition comme un acte de piraterie international (comment aurait on pu le définir autrement ?) donna, officieusement son assentiment à Cavour par la célèbre phrase: “Faites, mais faites vite!”, sans oublier de marchandant Nice et la Savoie, en échange de sa “non-intervention.
- François II, face à l’un des plus grands complots internationaux de l’histoire, et, surtout, confronté à la trahison de ses officiers et de son gouvernement à savoir ses conseillers les plus proches et les plus “dévoués”, comprit qu’il venait de tout perdre, mais qu’il fallait sauver l’honneur et la mémoire ancestrale : pour éviter que ne coulât le sang des populations civiles, il quitta Naples et se réfugia dans la forteresse de Gaète, suivi par tous ceux qui choisirent de garder l’honneur en se battant contre les assaillants du légitime et bienaimé souverain.
A Gaète
Un grand nombre d’ouvrages sérieux et passionnants ont été écrit, même récemment, sur l’histoire du siège de Gaète, assurément l’une des pages les plus tragiques et héroïques de l’histoire du Risorgimento, auxquels nous renvoyons pour un approfondir la question (voir la rubrique Livres conseillés).
Le 8 décembre 1860, quittant Naples, François II rédigea une proclamation, dont nous rapportons quelques phrases: «(…) j’ai préféré quitter Naples, ma propre maison, ma capitale bien-aimée pour ne pas l’exposer aux horreurs d’un bombardement, comme ceux qui ont eu lieu plus tard à Capoue et à Ancône. J’ai cru en toute bonne foi que le Roi du Piémont, qui se déclarait mon frère, mon ami, qui clamait sa désapprobation concernant l’invasion de Garibaldi, qui négociait avec mon gouvernement une alliance intime dans les vrais intérêts de l’Italie, n’aurait jamais rompu les pactes et violé impunément toutes les lois pour envahir mes Etats, sans motifs ni déclarations de guerre. Si ce sont là mes torts, je préfère mes malheurs aux triomphes de mes adversaires» [Dans “Gazzetta di Gaeta”, du 9 décembre 1860, n°21, page 1]. La proclamation alarma le chef de la police de la Lieutenance Silvio Spaventa, car, comme le témoigne Ruggero Moscati, «elle provoqua une forte impression à de nombreuses couches de la population méridionale» [R. MOSCATI, I Borboni d’Italia, ESI, Naples 1970, page 153].
En effet, des milliers de fidèles aux Bourbons se rassemblèrent à Gaète (alors que les forteresses de Civitella del Tronto – qui fut la dernière à tomber – et de Messine résistaient héroïquement), prêts eux aussi à mourir pour défense de leur propre souverain [Robert Martucci reconnaît les mérites de François II, dénonçant l’historiographie adverse qui le dépeint comme “le petit François” et rapporte le texte suivant de A. ARCHI (Gli ultimi Asburgo e gli ultimi Borbone in Italia – 1814/1861 – Cappelli, Bologne 1965, page 376) : « François II fut roi davantage dans le malheur, que durant les quelques mois de souveraineté effective : il ne retira pas ses dépôts bancaires et préféra emporter avec lui du Palais Royal, les objets de dévotions et les souvenirs de famille plutôt que les œuvres d’art et celles de valeurs vénales ». MARTUCCI, cité dans l’ouvrage, pages 189-190. «de leur patrie, pour témoigner la foi et la civilisation ancestrale et manifester par leurs actes le refus d’une société corrompue et traître, à laquelle ils sentaient ne pas appartenir.»
L’histoire tragique de la résistance de Gaète, comme nous l’avons souligné, assiégée par un homme sans pitié, est aujourd’hui célèbre et il existe des publications valables qui en fournissent le récit.
Le siège, commencé le 13 novembre 1860, dura jusqu’au 13 février 1861. Il fut mené avec une telle détermination, qu’il faut rappeler que Cialdini poussa l audace jusqu’à faire de faire bombarder la chambre des souverains, dans l’espoir évident de les tuer.
Nous nous limitons dans ce contexte à rapporter les paroles touchantes de Roberto Martucci, qui nous fait revivre le climat tragique du siège, surtout lors des derniers jours, décrivant en particulier l’état d’âme ces vaincus – entre la famine et une épidémie de peste – victimes innocentes d’une guerre que personne ne voulait, et défenseurs héroïques non d’un Royaume, mais d’une civilisation pluriséculaire. Il évoque également la réjouissance des vainqueurs, mais une réjouissance malsaine : Le 5 février 1861, un projectile atteignit la poudrière Saint Antoine, provoquant environ cent morts et ensevelissant des centaines de soldats encore vivants sous les décombres. “L’ennemi – écrivit Pietro Calà d’Ulloa – sacrifiait des vies humaines aux dieux des enfers; une dernière explosion projeta des soldats et des officiers en les précipitant dans la mer; à Mola, les assiégeants applaudirent comme durant un spectacle” [P. CALA D’ULLOA, Lettres d’un ministre émigré, Marseille, 1870, page 80].
Suite à une brève trêve pour dégager les blessés des décombres, Cialdini refusa un délai qui aurait permis de porter secours aux victimes encore vivantes; le général sarde voulut donc reprendre le bombardement, proposant en même temps à la garnison napolitaine épuisée une reddition sans conditions. Plutôt qu’ une autre tentative de résistance inutile, François II autorisa le gouverneur de Gaète – qui n’était autre que le général Josué Ritucci , celui là même qui avait dirigé la malheureuse contre-offensive sur le Volturno – à négocier la capitulation. Ce fut le 11 février et les entrevues se prolongèrent pendant deux jours, sans que le général Cialdini ne cessât de déverser cette avalanche de feu sur la funeste forteresse; Bien au contraire, il profita de l’occasion pour faire entrer en action deux autres batteries de canons à tubes rayés. Puisque que la reddition était certaine, ce nouveau déploiement d’artillerie de siège était mortellement inutile. A moins qu’il ne s ‘agisse de ce syndrome décrit magistralement par le romancier français Jules Verne, dans “De la Terre à la Lune”, quand les ingénieurs et les experts balistiques exténués, membres du “Gun club” de Baltimore, apprirent avec une douleur inégalable que la fin de la Guerre de Succession leur empêchait d’expérimenter l’efficacité des projectiles de leurs canons sur les soldats confédérés. Ce fut ainsi que, le 13 février à trois heures de l’après-midi à Gaète, alors que les parlementaires napolitains et sardes discutaient des derniers détails de la capitulation, la poudrière de la batterie de Transylvanie sauta avec ses dix-huit tonnes d’explosifs. Les batteries d’assauts piémontais concentrèrent immédiatement le feu sur les décombres afin d’entraver les secours, mitraillant les brancardiers. Périrent inutilement deux officiers, cinquante soldats et toute la famille du gardien du bastion. Les bourboniens plénipotentiaires qui, dans le Quartier Général de Cialdini, étaient en train de négocier la reddition continrent à grand-peine leurs larmes, tandis que leurs invités applaudissaient à tout rompre, contrevenant simultanément aux règles de l’hospitalité et aux lois non écrites de l’honneur militaire» [MARTUCCI, cité dans l’ouvrage, page 195].
Non satisfait, Cialdini, afin d’humilier ceux qui avait eut le courage de lui résister avec dignité, poussa l’ignominie jusqu’à proposer généreusement au couple royal de leur fournir lui-même le bateau qui les conduirait à Rome: il en choisit un appelé “Garibaldi”!
Au milieu des soldats, des officiers agenouillés et de la population, François II et Marie Sophie levèrent l’ancre vers Rome, serrant les mains à tous, sans aucune distinction, parmi les larmes et les sourires.
«A cette époque, François de Bourbon avait 25 ans, Marie Sophie seulement 19, pourtant ils surent, dans le malheur, faire preuve de force de caractère et de dignité, que des souverains, plus âgés et aguerris qu’eux, n’auraient pas possédé». Sergio Romano commente: «Si ceux-ci étaient les nouveaux bataillons de l’Italie unitaire, la nouvelle classe dirigeante aurait dû rendre un hommage respectueux aux obstinés défenseurs bourboniens de Messine, Civitella del Tronto et de Gaète, au moment où elle s’emparait de la direction du nouvel Etat, outre à ajouter leurs noms au “rôle des héros” afin de vénérer leur mémoire. Comme les suisses aux Tuileries en 1792, ces hommes se battirent parce qu’ils avaient juré fidélité à leur roi et ne méritaient pas l’oubli, dans lequel les a condamnés la légende du Risorgimento» [S. Romano, Finis Italiae. Declino e morte dell’ideologia risorgimentale. Perché gli italiani si disprezzano, Milan 1994, p.15].
Les Souverains quittèrent le port de Gaète, au son de la marche royale de Paisiello et de 21 salves de canons, alors que tout le peuple saluait et pleurait. Le Royaume des Deux-Siciles avait ainsi cessé d’exister, laissant ahuris et sans patrie des millions de paysans méridionaux. Déjà une grande partie des notables des villes cherchaient à obtenir une charge convenable dans le nouvel organigramme politique et administratif de l’Italie unie, mettant de côté l’argent avec lequel, quelques temps plus tard, ils s’ approprierait les terres des aristocrates et de l’Eglise fidéles, ce qui engendrera la ruine de millions de paysans qui ne connurent plus ni pitié ni humanité, et dont le seul salut fut l’émigration.
Mais ceci n’est pas le lieu pour évoquer les maux qui ont frappés l’Italie du Sud après 1861, au sujet desquels il existe une théorie qui fait toujours débat aujourd’ hui, dont l’ombre plane telle une épée de Damoclès sur l’histoire nationale unitaire: «La question de l’Italie du Sud».
Les historiens s’entendent pour affirmer que le comportement héroïque de François II, lors du siège de Gaète, servit à le racheter de ses faiblesses politiques, véritables ou supposées. Nous pourrions citer en très grand nombre les jugements sensibles d’historiens sympathisants; nous préférons cependant apporter, à l’attention de tous, l’analyse plus insipide et objective, d’un historien incontesté et certainement pas pro-Bourbon. Giuseppe Coniglio écrit: «Face à l’histoire, il sut toutefois racheter ses propres échecs lors du siège de Gaète, où il participa audacieusement, pour montrer à l’Europe qu’il savait agir, et il y parvint pleinement, même s’il fut soutenu par l’exemple et l’encouragement de sa femme. Pour les deux souverains fuir aurait été facile (…) mais François ne voulut pas se rendre à une telle humiliation et préféra se battre longtemps, obtenant lui-aussi devant le jugement des ennemis-mêmes cet honneur de la guerre qu’ eurent tous les défenseurs de Gaète» [G. CONIGLIO, I Borboni di Napoli, Corbaccio, Milan 1999, p.460].
Nous voulons conclure cette page par un hommage à S.M. Marie Sophie Reine des Deux-Siciles [Martucci décrit ainsi Marie Sophie de Bavière: « Sœur de l’impératrice Elisabeth d’Autriche – la Sissi légendaire – Marie Sophie, la souveraine de Naples aussi charmante que fragile, fut durant le long siège une infirmière parmi les blessés, intrépide au milieu des coups de canon, souriante envers les soldats, toujours prête à encourager de la parole cette humanité souffrante… ». MARTUCCI, cité dans l’ouvrage, page 194], l’âme véritable du siège de Gaète, la salvatrice de l’honneur du Royaume et de l’armée bourbonienne: il ne se passa pas un jour sans qu’elle n’aille sous les coups de canons aider ses soldats, à soigner leurs blessures, à partager leurs souffrances et leurs peurs, à les encourager, à les nourrir, à les secourir, tout en donnant de la force à son mari dans les moments les plus difficiles.
A Gaète, le couple royal offrait un spectacle très digne, un spectacle d’amour, d’abnégation, de dévouement, d’honneur et de dignité, de sentiment du devoir et de la patrie, mais également de sérénité et d’affection pour ses propres soldats.
Gaète restera toujours une des plus belles pages de l’histoire des Bourbons des Deux-Siciles, de l’histoire du Royaume de Naples, de l’histoire des italiens et de l’histoire tout court, où s’illustre la gloire, de la dignité et de l’ honneur. Ces pages, des milliers de volontaires les ont écrites, rejoints dans leurs idéaux, par ces autres volontaires qui au même moment combattaient, malgré l’absence des souverains, dans les forteresses de Messine et de Civitella del Tronto, les deux autres remparts héroïques de la résistance bourbonienne. Tous ont été emportés dans la tourmente d’une violence atroce et ont payé de leur sang et de leur honneur à l’exemple de leurs souverains François Ier er Marie-Sophie de Bourbon des Deux-Siciles.